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Rétablissement de l’ISF : le grand débat
Publié le 25 Juin 2020
Lecture de 6 min.
Thématique : Actualités
Rédigé par Julie François
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Alors que les autorités font les comptes des plans d’aide dégainés quelques mois plus tôt pour soutenir l’économie du pays et faire face à la crise liée au Coronavirus, le débat sur le rétablissement de l’ISF enfle et ravive les clivages politiques anciens. Experts, économistes et politiciens tentent tous de répondre à la seule question qui fâche : qui doit contribuer à payer la facture de la crise sanitaire et économique ? Analyse d’un débat de société.
Vers un retour de l’ISF ?
C’est en pleine période de confinement, alors que l’Etat tentait de trouver des solutions pour faire face à la crise sanitaire, que Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, a ouvert les vannes en suggérant un rétablissement de l’impôt sur la fortune (ISF) afin d’éponger les dettes de la crise du Covid-19. Reprise par les médias, l’idée s’est invitée sur la scène politique et est venue réveiller les anciens clivages politiques. Depuis le déconfinement, on peut donc observer deux tendances s’affronter sur le sujet : les partisans de travailler plus pour relancer rapidement l’économie et les défenseurs d’un retour de l’ISF, ou du moins, d’une taxation des plus aisés.
Au sein de l’Hémicycle, les partis de gauche multiplient donc les propositions de lois pour rétablir l’ISF ou créer une nouvelle contribution exceptionnelle. Ainsi, la proposition du Parti Communiste Français (PCF) a été examinée en commission des finances à l’Assemblée nationale, mercredi 10 juin. Le texte veut rétablir l’ISF, supprimer le prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus du capital et relever la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Cette politique, si elle est adoptée, pourrait, estime-t-on, rapporter 6 milliards d’euros. Des initiatives qui viennent contredire la position gouvernementale. Lors de son discours télévisé du 14 juin 2020, le Président de la République, Emmanuel Macron, a exclu une augmentation des impôts pour financer les dépenses liées à la crise de Coronavirus.
Le débat actuel n’est pas nouveau. La question du rétablissement de l’ISF est, depuis toujours, un sujet clivant. Toutefois, la crise de Covid-19 et les plans d’aide de plusieurs milliards d’euros pour y faire face ont changé la donne. Le creusement des inégalités dans ce contexte inédit vient étayer les arguments de défenseurs du rétablissement de l’ISF. Selon un sondage Elabe réalisé pour Les Echos, 70 % des personnes interrogées considèrent que le rétablissement de l’ISF est une mesure de relance efficace et 68 % d’entre eux sont séduits par l’idée d’une contribution exceptionnelle.
L’idée d’une nouvelle taxe sur la richesse
Véritable sujet de société, la question ne se cantonne pas au monde politique. Les économistes s’en mêlent et tentent de dépasser la lutte idéologique en apportant des arguments scientifiques. L’économiste Esther Duflo, prix Nobel 2019 et professeure au MIT, a pris position en se déclarant favorable au rétablissement de l’impôt sur la fortune en France. « L’impôt sur la richesse est un impôt raisonnable, pas du tout extrême ou radical. […] Il faut redistribuer vers les revenus les plus faibles », a-t-elle précisé lors d’une interview à la radio RTL. L’économiste avait également préconisé la mise en place du chômage partiel pour amortir le choc des conséquences de la crise sanitaire, mesure qui a été décidée par le gouvernement.
Le clivage suscité par la question du rétablissement de l’ISF s’est progressivement transformé. Du fond, la question s’est portée sur la forme, suite à une proposition d’un groupe d’économistes. Gabriel Zucman, Emmanuel Saez et Camille Landus ont ainsi émis l’idée d’une taxation progressive de 1 % des Européens les plus riches, pour une durée limitée. L’objectif est de rembourser les dettes mutualisées des différents pays de l’Union européenne touchés par la crise de Covid-19 tout en créant un fonds d’urgence commun. « Une telle taxe permettrait de lever chaque année un montant équivalent à 1,05 % du PIB de l’Union, ce qui permettrait d’éponger en une dizaine d’années les dettes supplémentaires liées au Coronavirus », précise Camille Landais.
L’idée d’une contribution exceptionnelle s’est également dessinée à l’échelle nationale, notamment suite à la lettre ouverte du comédien Vincent Lindon. La taxe dite « Jean Valjean », comme l’ont surnommée les médias, progressive de 1 % à 5 % serait envisagée sur les patrimoines évalués à plus de 10 millions d’euros.
« Nous ne sommes qu’au début d’un nouveau cycle d’âpres discussions et d’un débat idéologique renouvelé sur la dette publique et les impôts. »
Bruno Cautrès, chercheur CNRS au centre de recherches politiques de Sciences po (Cevipof).
Théoriciens contre politiciens
La position des experts en économie semble bien définie, mais entre la théorie et la pratique, le fossé semble difficile à combler. Face à l’argument de la redistribution des richesses, le gouvernement prône la cohérence politique dans un contexte économique difficile.
« L’idéologie fiscale n’a jamais fait de bonne politique. […] La fiscalité sert à aider le pays à mieux fonctionner. […] La croissance crée la richesse qui permet de rembourser la dette. […] Nous faisons le pari de l’action économique. »
Gérald Darmanin, Ministre des Comptes publics
La ferme position gouvernementale
Le discours de l’action économique donne au gouvernement une opportunité d’échapper à l’épineuse question sur le retour de l’ISF. En effet, ce débat met les macronistes face à un dilemme : garder la cohérence politique du quinquennat, en faveur de la suppression de l’ISF, tout en accédant aux revendications jugées légitimes des « héros » de la crise sanitaire. Le contexte de crise a évidemment remis en cause l’impératif politique de rigueur budgétaire et obligé le gouvernement à ajuster sa position. Mi-mai, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, avait tenté de couper court au débat en déclarant que le retour de l’ISF serait de la « pure démagogie ».
Des propos qui n’ont, semble-t-il, pas eu l’effet escompté, puisque le rétablissement de l’ISF reste à l’ordre du jour des propositions de lois étudiées par le Parlement. Toutefois, le gouvernement continue de miser sur la relance économique et propose un autre cocktail de taxation pour payer la facture de la crise. Au programme, création d’une taxe mondiale sur les géants du numérique, imposition d’un niveau minimum d’impôt sur les sociétés et création d’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne.
Les risques de cette politique
Le véritable clivage entre les théoriciens, partisans de la taxation des plus aisés et les politiciens au pouvoir réside dans les conséquences d’une telle mesure. En effet, le gouvernement a clairement expliqué que taxer la richesse, via un retour de l’ISF ou de la création d’une nouvelle taxe exceptionnelle, favoriserait l’exil fiscal des contribuables concernés. Conséquence, les investisseurs deviendraient frileux, se tourneraient vers d’autres pays à la fiscalité plus attractive. En ce qui concerne l’idée d’appliquer une taxation exceptionnelle à l’échelle européenne, le projet est inédit, car aucune base juridique n’existe actuellement pour établir un impôt commun à plusieurs pays. Sans compter la disparité des fortunes d’un Etat à l’autre.
La promesse du gouvernement de ne pas augmenter les impôts reste donc la ligne directrice ferme. Cette décision trouve également sa force dans la volonté de ne pas reproduire les erreurs commises au sortir de la crise financière de 2009. Pour rappel, le relèvement général de la fiscalité des revenus avait principalement touché les hauts revenus avant de s’étendre à l’ensemble des contribuables.
La taxation des plus aisés contribuerait-elle à résorber la dette ?
Derrière ce débat multiforme qui passionne autant qu’il oppose, la réelle question reste tue. Taxer le patrimoine est une réponse fiscale au problème du déficit, mais cette mesure serait-elle vraiment utile ? Pour faire face aux conséquences de l’épidémie de Coronavirus, l’Etat a engagé environ 300 milliards d’euros. Les experts supposent qu’un éventuel retour de l’impôt sur la fortune qui viendrait doubler la fiscalité des plus aisés, pourrait apporter un gain réel pour l’Etat d’à peine 10 milliards d’euros. Le rétablissement de l’ISF apparaît donc comme une proposition légitime, mais certainement pas l’une des plus efficaces. Si le débat est au cœur de la scène politique aujourd’hui, c’est qu’il vient satisfaire, dans un contexte de crise économique et sociale, un besoin de justice et d’égalité, alors que la recherche d’une solution efficace semble être la priorité.
- A lire également : les solutions pour réduire ses impôts
En résumé
- Idée lancée durant le confinement, le rétablissement de l’ISF comme solution à la facture de la crise économique et sanitaire, a créé un débat politique au sein des institutions, mais aussi dans les médias.
- Les économistes se sont, eux aussi, penchés sur la question et ont tenté de donner des éléments de réponse au problème de la relance économique. Au rétablissement de l’ISF, vient s’apposer l’idée d’une taxation exceptionnelle et progressive des plus aisés, à l’échelle nationale ou européenne.
- Le gouvernement est, cependant, catégorique l’ISF ne sera pas réactivé et l’alourdissement de la fiscalité ne fait pas partie du programme de relance établi. Il s’agit d’un débat qui cherche à rétablir une forme d’égalité suite à l’écart qui s’est creusé durant la crise entre les ménages modestes et les plus aisés.
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Julie François
Rédactrice spécialisée en gestion de patrimoine, économie, finances
Journaliste de formation, j'écris sur la gestion de patrimoine et la défiscalisation pour plusieurs supports. Les mots sont devenus ma boîte à outils pour décrypter le monde. Grâce à eux, je décortique des concepts, illustre des idées et affine des pensées et tente, à travers mes articles, de rendre plus intelligible l’univers de la gestion de patrimoine et de l’immobilier.
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