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Pourquoi les traders s’intéressent à l’eau
Publié le 24 Fév 2021
Lecture de 4 min.
Thématique : Actualités
Rédigé par Julie François
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Le Nasdaq et le Chicago Mercantile Exchange viennent de lancer des contrats à terme sur l’eau. Cette ressource naturelle essentielle devient donc un actif financier au même titre que le pétrole, le blé ou encore le cuivre. Analyse d’un phénomène.
Vers une financiarisation de l’eau
« L’eau en tant que classe d’actifs deviendra, selon moi, la plus importante de toutes les matières premières, devant le pétrole, le cuivre, les produits agricoles ou les métaux précieux » avait prédit Willem Buiter, chef économiste à la banque Citi. En 2017, dans un rapport sur les solutions envisagées pour faire face la crise mondiale de l’eau, il annonçait déjà la « fin de l’eau disponible et pas chère » et les problèmes économiques liés à l’eau qui émergeraient. Toute ressource naturelle qui se raréfie attire inévitablement les convoitises. L’idée derrière ce discours est que l’eau ne sera plus une ressource disponible et gérable localement. La hausse exponentielle de la demande, pour soutenir le développement économique mondial, entraîne nécessairement une intensification des échanges autour de cette ressource. En évoquant la privatisation de l’eau, Willem Buiter a ouvert la voie à la financiarisation de l’or bleu.
L’urbanisation galopante est l’une des causes de l’augmentation constante de la demande en eau. À l’échelle mondiale, l’agriculture, la vétusté des infrastructures de distribution de l’eau potable, la démographie ainsi que les changements climatiques contribuent à façonner ce processus de financiarisation de l’eau. Dans leur rapport de 2017, intitulé « Solutions for the global water crisis », les experts de Citi estimaient que d’ici 2025 les opportunités du marché de l’or bleu représenteraient environ 1 trillion $. En effet, outre la consommation d’eau potable par les habitants de la planète, la ressource naturelle bleue, comme matière première, est également source de préoccupation pour certains secteurs de production, tels que les mines. Ces dernières années, plusieurs conflits liés à l’utilisation des ressources en eau ont opposé habitants et sociétés minières dans plusieurs régions, comme au Pérou, au Mexique et aux Etats-Unis.
Une matière première convoitée par Wall Street
Le Nasdaq et le Chicago Mercantile Exchange, l’une des plus grandes bourses mondiales de matières premières, ont officiellement lancé les contrats à terme sur l’eau californienne, en décembre 2020. Une première pour cette ressource naturelle, devenue une matière première indispensable dans notre système économique. Concrètement, municipalités, fonds d’investissement, banques et hedge funds peuvent désormais acheter et vendre des millions de litres d’eau sans jamais détenir physiquement la moindre goutte. Ce marché est censé offrir un instrument financier pour se couvrir contre la volatilité des prix de l’eau sur les marchés physiques. À terme, il est aussi destiné à devenir un indicateur de disponibilité de l’eau en Californie, mais également dans le monde.
Ces contrats à terme, estimés à 1.1 milliard $, sont censés refléter le marché de l’eau en Californie. Ils sont liés au Nasdaq Veles California Water, indice, créé en 2018, qui se base sur les achats d’eau réalisés la semaine précédente en surface et dans quatre réserves souterraines californiennes. Le prix de l’indice est exprimé en dollars par acre-pied, soit 1.2 million de litres. Les contrats à terme sont donc la grande nouveauté qui marque un pas supplémentaire vers une financiarisation plus complexe de l’eau. En effet, le marché de l’eau, en tant que système d’échanges, n’est, lui, pas si récent. L’Australie, où le manque d’eau est croissant, a développé ce mécanisme dans les années 1990. Le gouvernement fixe le volume d’extraction autorisé et les détenteurs de droits d’eau peuvent échanger leurs droits sur un marché. La vision économiste néoclassique présente la financiarisation de l’eau comme un moyen de réguler et d’agir sur la consommation d’eau afin de l’optimiser, tout en favorisant un marché concurrentiel. La multiplication des outils financiers et le développement des marchés de l’eau soulève toutefois de nombreuses questions.
Un actif financier comme les autres ?
L’eau, ses volumes et son prix peuvent-ils être échangés et manipulés comme n’importe quel autre actif ? Sur cette question, les experts, chercheurs et économistes sont divisés. Selon Agathe Euzen, chercheuse au CNRS, interrogée par le quotidien « Les Echos » : « on ne peut pas la réduire à un prix car elle a des valeurs qui ne sont pas uniquement économiques ». En revanche, pour Philippe Chalmin, économiste et co-directeur du rapport CyclOpe sur les marchés de matières premières, l’eau est « une matière première comme les autres ». Elle possède de nombreuses caractéristiques en commun avec d’autres matières premières. Toutefois, l’eau est « un pondéreux qui ne se transporte pas, ou sur de courtes distances seulement ». Cet inconvénient trace donc, pour Philippe Chalmin, une limite à la possibilité d’un marché global de l’eau.
Cette différence de taille pourrait remettre en cause l’attractivité de l’eau comme actif financier. Selon l’Institut des politiques publiques de Californie, moins de 5 % de l’eau consommée par les villes et les agriculteurs est échangée, chaque année, et le Nasdaq Veles Water Index, qui sert de référence pour les titres financiers, n’a été calculé que sur la base de 221 transactions en 2019. Le manque de liquidité de l’or bleu pourrait être un réel problème pour les traders qui, comme pour tout actif, veulent s’assurer de trouver sur le marché un acheteur et un vendeur.
D’autres arguments sont avancés pour déconstruire l’idée que l’eau sera le futur pétrole, notamment le fait qu’il s’agit d’une ressource renouvelable, contrairement au minerai. Autre obstacle potentiel à une financiarisation totale de l’or bleu : son caractère de bien naturel commun. En 2010, l’Assemblée des Nations Unies lui a attribué un statut particulier en déclarant que « le droit à une eau potable propre et de qualité et à des installations sanitaires est un droit de l’homme, indispensable à la pleine jouissance du droit à la vie ». La privatisation de cette ressource naturelle fait donc l’objet de nombreux débats. Si, dans certains cas, comme en Australie, des accords ont pu être trouvés entre écologistes et investisseurs, nombreuses sont les organisations qui alertent sur les risques de dérives de cette financiarisation. Mais là encore, face aux accusations et critiques visant les banques et fonds d’investissement, Willem Buiter a une réponse toute prête : « ce n’est pas parce que l’eau est la vie qu’elle ne doit pas avoir un prix ».
En résumé
- Le lancement pas le Nasdaq et le Chicago Mercantile Exchange de contrats à terme pour le marché de l’eau californien relance le débat sur la financiarisation de l’eau.
- L’eau, ressource naturelle, de plus en plus convoitée, est dans le viseur des marchés financiers depuis plusieurs années. Ce n’est pas un hasard si les marchés de l’eau se développent, les besoins croissants en or bleu annoncent une raréfaction de cette ressource en tant que bien de consommation, mais également comme matière première.
- Si le phénomène des marchés de l’eau n’est pas nouveau, le développement de nouveaux instruments financiers et les perspectives d’un marché juteux viennent accélérer le processus. De nombreuses critiques émergent également venant pointer du doigt la privatisation d’un bien naturel commun.
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Julie François
Rédactrice spécialisée en gestion de patrimoine, économie, finances
Journaliste de formation, j'écris sur la gestion de patrimoine et la défiscalisation pour plusieurs supports. Les mots sont devenus ma boîte à outils pour décrypter le monde. Grâce à eux, je décortique des concepts, illustre des idées et affine des pensées et tente, à travers mes articles, de rendre plus intelligible l’univers de la gestion de patrimoine et de l’immobilier.
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